Gregory Djanikian Interview (Armenian Reporter)

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Here’s the French version, translated in 2009:

Des mots aux saveurs exotiques
L’univers poétique de Gregory Djanikian

par Lola Koundakjian

(The Armenian Reporter, 08.09.2007)

Gregory Djanikian dirige l’atelier d’écriture expérimentale [Creative Writing Program] à l’université de Pennsylvanie. Il est l’auteur de cinq recueils de poésie, dont celui récemment publié So I Will Till the Ground [Labours], tous publiés par les éditions Carnegie-Mellon.
Né à Alexandrie, en Egypte, il est arrivé aux Etats-Unis à l’âge de huit ans et a grandi à Tarrytown, dans l’Etat de New York, et Williamsport en Pennsylvanie. Il s’est mis à écrire véritablement dès l’université et ses œuvres ont alors paru dans Poetry, American Scholar, Antioch Review et Poet Lore.
Son poème intitulé « Immigrant Picnic » est paru dans The Poetry Anthology : Ninety Years of America’s Most Distinguished Verse Magazine (2002). Greg Djanikian a lu ce poème le 4 juillet 2007 lors de l’émission The NewsHour sur PBS avec Jim Lehrer ; la vidéo est archivée sur http://www-tc.pbs.org/newshour/rss/media/2007/07/04/20070704_poet28.mp3. Parmi ses nombreuses distinctions, une Bourse nationale des Arts, deux prix du magazine Poetry, le prix Eunice Tietjens et le prix Friends of Literature. Il a obtenu l’Anahid Award du magazine littéraire Ararat en 1993, date à laquelle Lola Koundakjian entendit parler de lui pour la première fois. Elle a rencontré le professeur Djanikian durant l’été 2007 lors d’un entretien pour The Armenian Reporter.

– Lola Koundakjian : La poésie faisait-elle partie de la vie de ta famille à Alexandrie ? Aux Etats-Unis ? Quel fut ton premier recueil de poèmes ?
– Gregory Djanikian : Ma mère a fréquenté à la fois l’école française et anglaise d’Alexandrie, et lorsque nous étions enfants, ma sœur et moi, elle nous récitait de la poésie française et anglaise – Sully Prudhomme, Victor Hugo, Tennyson, Arnold, Shelley, Kipling, mais aussi des poètes arméniens comme Tekeyan, Divrikian -, nous encourageant à apprendre par cœur et à réciter des poèmes lors des réunions de famille. Elle aimait, et aime encore, beaucoup la poésie et peut en réciter avec un sens théâtral tout à fait charmant.
Nous n’avions, bien sûr, pas de télévision et notre distraction familiale, après le dîner, consistait à se réunir au salon et jouer parfois nos propres compositions. Si bien que je suis entré en poésie très jeune, vers cinq ou six ans, je crois, récitant des mots dont je ne comprenais pas vraiment le sens, bien que j’en aimais les sonorités.

– Lola Koundakjian : Comment et quand as-tu décidé que tu serais un poète ?
– Gregory Djanikian : Etudiant, je voulais faire des études d’architecture. Mais lors de ma première année, j’ai eu un professeur anglais, Gerald Myers, tout juste diplômé, à la fois poète et critique, et merveilleux professeur de littérature. Je me rappelle laissant tomber les études à cette époque – c’était en 1968, quand le pays était tout chamboulé par le Vietnam, les assassinats, les émeutes. J’avais l’habitude de faire des balades autour du campus, souvent vers 4 heures du matin, essayant de me représenter ce qui comptait pour moi et comment tracer mon chemin à travers le monde.
Ça peut sembler un peu mélo, mais une nuit de pleine lune, je l’ai regardée en face et j’ai crié à la cantonade que rien ne me satisferait davantage que d’être un poète. J’avais écrit quelques poèmes auparavant et j’avais aimé ça, mais je n’envisageais pas sérieusement de devenir écrivain. Peu après, j’ai bifurqué d’un coup vers l’anglais, je suis allé voir mon professeur et je lui ai demandé s’il voulait bien me tutorer, ce qu’il a fait en toute générosité.

– Lola Koundakjian : Comment ont évolué tes goûts en poésie au cours de ta vie ?
– Gregory Djanikian : Je pense qu’avec l’âge, mes goûts en matière de poésie s’élargissent. J’aime la poésie sous toutes ses formes : formelle, expérimentale, lyrique, narrative, poèmes en prose. J’aime la manière avec laquelle le langage peut être rassemblé sous des formes différentes par des sensibilités différentes et la fluidité des frontières et des définitions de la poésie.
Je me rappelle écoutant Alvin Ayler, le grand saxophoniste ténor de jazz au début des années 1970. Ses riffs me paraissaient si bizarres, jamais je n’avais rien entendu de tel, si bien qu’il m’a fallu pas mal de temps, au départ, pour les comprendre et les écouter attentivement. Maintenant j’apprécie davantage ce qui ne m’est pas familier, en musique comme en poésie. Tout ce qui est fait à la perfection ou d’une manière intéressante peut m’émouvoir et me modifie parfois d’une façon à laquelle je ne me serais jamais attendu.

– Lola Koundakjian : Pourrais-tu citer un de tes poètes favoris, dans quelles circonstances tu l’as lu(e) pour la première fois ?
– Gregory Djanikian : J’ai beaucoup de poèmes favoris, certains écrits par des poètes qui peuvent sembler obscurs, aussi j’hésite à dire que j’ai un poète favori. Tant de poètes, même mineurs et obscurs, peuvent parfois élever leur vision à une telle hauteur que les poèmes qu’ils écrivent deviennent comme incandescents, éveillant ma gratitude. Je me rappelle une nuit – j’étais plongé dans W.B. Yeats pour un cours à l’université car je devais écrire un article à son sujet -, lorsque soudain j’ai été frappé par « Lapis-lazuli » – les mots, la musique, qui m’envoyaient leurs réverbérations dans tout le corps, tandis que je lisais et relisais.
Franchement, je ne savais pas ce que je lisais, ignorant quasiment le sens du poème, mais j’ai tant aimé la manière avec laquelle les mots entraient en moi avec leur rythme et me donnaient envie de réciter ce poème à moi-même sans cesse, heureux de découvrir Yeats écrivant à ma façon, que cela ne fit que confirmer à nouveau mon désir d’écrire.

– Lola Koundakjian : Pourrais-tu citer un autre poème ou poète qui t’a marqué ?
– Gregory Djanikian : Lorsque j’étais doctorant, je me suis mis à lire les Sonnets à Orphée de Rilke. J’ai été stupéfié par cette œuvre et mon style d’écriture a totalement changé après ce choc. Je pense que je me suis ensuite moins appuyé sur une stricte logique narrative, saisissant plus aisément l’importance des disjonctions dans la pensée, des sauts dans la quête imaginative.

– Lola Koundakjian : Vois-tu l’écriture comme quelque chose de solitaire ? Ou cela s’accorde-t-il avec ta vie de famille et ton travail ?
– Gregory Djanikian : Pour moi, écrire c’est une entreprise solitaire, à la fois une calamité et une bénédiction. Une calamité, car cela isole, et je dois faire entièrement abstraction de ma famille et de mes amis. Une bénédiction, car ce n’est que lorsque j’écris par moi-même que je vois le monde, d’une façon plus nette, plus concentrée que je ne pourrai jamais le faire, autrement dit je peux me réconcilier plus aisément – même si c’est dur – avec ses ténèbres et d’un autre côté, savourer ses bonheurs plus intensément.

– Lola Koundakjian : Penses-tu être parvenu à équilibrer ta vocation poétique et ton travail à l’université de Pennsylvanie ?
– Gregory Djanikian : J’écris le plus souvent en été, lorsque je peux bénéficier d’une résidence d’artiste ou aller dans une maison que j’ai dans le Vermont, et m’isoler du reste de l’année. Lorsque je travaille durant mes semestres universitaires – j’enseigne tout en assumant des tâches administratives – j’ai moins de temps pour écrire et je réfléchis différemment. Je n’allie pas facilement ces deux facettes, bien que je connaisse des gens qui y arrivent.

– Lola Koundakjian : Tu attends l’inspiration ou bien tu t’assieds à un moment donné du jour ou de la semaine, en essayant d’écrire tes vers ?
– Gregory Djanikian : Quand je suis ému, inspiré pour écrire, quel que soit le moment, je suis toujours prêt et heureux de le faire. A d’autres moments, je m’assois et je me mets à jongler avec les mots et les vers, me raccordant à nouveau au plaisir de jouer avec le langage dans toutes ses sonorités, ses effets visuels, ses significations. L’été, j’essaie d’écrire chaque jour, même s’il me semble que je n’ai rien de spécial à dire. Mais c’est bien aussi ; la pratique est importante, comme dans toute autre discipline. Il faut toujours se donner la faculté d’échouer.

– Lola Koundakjian : Les traductions comptent pour toi ?
– Gregory Djanikian : J’adore les traductions, d’ailleurs je pense que certaines de mes plus grandes influences viennent d’œuvres traduites. J’ai cité Rilke (je ne lis pas l’allemand) qui a exercé une grande influence. De même Yehuda Amichai, grand poète israélien, dont les poèmes d’amour sont parmi les meilleurs que j’ai pu lire.
J’aime la fragrance d’une langue étrangère à travers les traductions – il y a toujours cet arôme, si le traducteur est bon -, peu importe que l’anglais soit familier. Les traductions me libèrent des contraintes de l’anglais et éveillent ma curiosité quant aux nuances et aux suites de réflexions qui diffèrent selon les langues.

– Lola Koundakjian : Les poèmes doivent-ils rimer ?
– Gregory Djanikian : Non – la plupart des miens ne le font pas, bien que ce fût le cas lorsque j’ai commencé à écrire. Un des premiers poètes contemporains que j’ai apprécié (j’étais jeune étudiant) est Richard Wilbur ; d’ailleurs je continue à l’estimer, c’est probablement le plus formel des poètes américains contemporains. Je pense qu’il y a place pour tous les styles. Pourquoi exclure, pourquoi réduire la poésie à une marque de fabrique ?

– Lola Koundakjian : Dans quelles circonstances tu prends un livre de poésie ? Tu en cherches un à la maison ? Chez un libraire ? Aux puces ? Dans un moment particulier ?
– Gregory Djanikian : Comme j’enseigne la poésie dans mes cours, je suis toujours à la recherche de nouveaux poètes. J’achète beaucoup de livres de poèmes et j’adore lire les œuvres de gens dont je n’ai jamais entendu parler. Il y a tant de voix nouvelles à découvrir qui peuvent se loger dans ton cœur !
J’ai toujours des livres de poésie sous la main quand j’écris. Je lis au hasard quelques vers ou des poèmes entiers chaque fois que je m’embourbe ou que mon travail me laisse froid. Ça m’aide, ça me secoue en me poussant à faire preuve d’imagination.

– Lola Koundakjian : Pourquoi devrait-on lire les œuvres des poètes arméniens ?
– Gregory Djanikian : Je pense qu’on devrait lire de la poésie de chaque pays, de chaque région. C’est ainsi que l’on arrive à connaître, de la façon la plus intime, les autres, leur moi secret si tu préfères.
Pourquoi de la poésie arménienne ? En fait, je pense que les Arméniens ont été confrontés tant de fois à la tristesse que notre poésie possède une résonance particulière quant à la manière de survivre aux atrocités que le monde nous a fait subir, de résister, chacun de nous, en dépit de ces horreurs.

– Lola Koundakjian : Pourquoi la poésie est-elle importante ?
– Gregory Djanikian : Je ne peux vraiment expliquer pourquoi la poésie devrait importer à chacun. Certains préfèrent la fiction, des documentaires, des films ou des pièces de théâtre – tout ce qui se rapproche de leur façon de penser. J’aime à penser que dans bien des cas, les frontières entre les genres sont perméables. Par exemple, pour moi, le dernier paragraphe dans la nouvelle The Dead de James Joyce, c’est de la poésie, comme la fin de The Glass Menagerie de Tennessee Williams ou certains passages, mettons, de l’essai d’Annie Dillard, Total Eclipse.
En ce qui me concerne, je suis attiré par la poésie comme genre littéraire pour plusieurs raisons. Premièrement, les poèmes sont suffisamment courts pour que je puisse les mémoriser où que je sois. Parfois, la nécessité de trouver les mots justes me saisit si intimement, alors que je suis allongé sur une hauteur ou que je marche seul dans les bois, qu’il me faut réciter quelque chose en entier, du début à la fin : un poème – qui me relie dans ma solitude au poète qui l’a écrit, une réciprocité intellectuelle profondément et constamment gratifiante.
J’aime aussi la manière avec laquelle la poésie noue le langage, ce qui me donne un réel plaisir physique quand je récite à haute voix les mots qui emplissent ma bouche de saveurs exotiques. J’aime la manière avec laquelle les poètes réfléchissent de tout leur être, méditent leur sujet, ne cessant de déplier ses secrets.
Finalement, c’est le langage que j’aime, comment les mots peuvent être assemblés d’une manière esthétique, originale, inédite et comment les poètes, ces manieurs de mots, continuent à m’ouvrir une fenêtre dans ce langage.

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Traduction : Georges Festa – 06.2009 – Tous droits réservés.

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~ by Lola Koundakjian on September 8, 2007.

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